Le roi en jaune – Robert W. Chambers

[01/03/24] Dans Le restaurateur de réputations, Hildred Castaigne n’est plus vraiment lui-même depuis son choc à la tête après une chute de cheval et la lecture du Roi en jaune, un ouvrage maudit, lors de sa convalescence. Il connait des transes provoquées par des bruits entêtants et des jeux de lumière, se rapproche de M. Wilde, patriarche érudit à l’apparence quasi monstrueuse et à la tête d’une organisation secrète. Pour accéder au trône dans l’ordre de succession, Hildred doit se débarrasser de son cousin Louis.
Dans cette anticipation de 25 ans dans l’avenir le suicide est un droit avec l’assistance d’une Chambre terminale d’État, évolution sociologique à la fois discrète et centrale dans le texte. Plus que la mort c’est la conjonction de la folie et de la révélation d’un autre monde après une modification cérébrale (comme dans Le Grand Dieu Pan d’Arthur Machen) qui structure le récit semblant émaner d’une grandiloquente pièce de théâtre aux retentissements mégalomaniaques. Le Roi consacré a des prétentions divines sur la réalité commune mais aussi sur des lieux transcendants dans lesquels se cache la vérité du monde. Et un chat noir rôde reliant Edgar Allan Poe et Howard Phillips Lovecraft à cette galaxie imaginative.
Dans Le masque, Boris Yvrain est un jeune sculpteur qui a découvert une solution chimique cristalline transmutant les êtres vivants en pierre. Prise d’une fièvre délirante, sa dulcinée Geneviève s’immerge dans un bassin empli du liquide mystérieux et Boris en la découvrant se suicide d’une balle dans le cœur. Leurs deux proches amis peintres Jack et surtout Alec, amoureux de Geneviève, peinent à supporter cette situation jusqu’à la découverte de la nature temporaire de la transformation des êtres en marbre.
Éros et Thanatos, folie et suicide dans ce drame poétique aux échos mythiques montrent qu’un voyage au-delà de la matérialité et du masque de l’Art, porté par la lumière, est possible.
Dans Le Signe jaune, Monsieur Scott est un peintre hanté par le même rêve que fait sa modèle Tessie, il est serré dans un cercueil vitré sur un corbillard mené par un cocher qui se trouve être le gardien de nuit d’une église en face de son atelier, une caricature d’humain qui terrifie tout le monde, et elle observe la scène d’une fenêtre jusqu’à son réveil. L’artiste et sa muse se rapprochent, elle lui offre une broche avec un signe inconnu, trouvée par hasard, et ils finissent par trouver Le Roi en jaune dans un coin de la bibliothèque de Monsieur Scott et le lisent malgré sa présence inexplicable.
La tragédie morbide rôde autour de l’amour dans une séparation cruelle, il est mourant mais peut témoigner qu’elle est passée de l’autre côté du voile, un séide au déguisement grotesque faisant le lien.
Dans La cour du Dragon, un étudiant harassé après avoir lu Le roi en jaune se rend dans une église pour la messe, s’assoupit et remarque un organiste blême et hostile qui le harcèle dans les rues pendant sa rêverie surnaturelle de musique et de lumière.
Ce court texte est le point culminant du crescendo de la thématique religieuse, avec à la clé un contact avec le Roi ubique, apothéose d’une emprise venue d’ailleurs.

Nonobstant la dimension amoureuse se trouvent dans ces lignes des thèmes ayant influencé Lovecraft, une dimension extérieure et derrière les apparences matériellement définie et perçue au travers d’un état psychologique, une œuvre littéraire maudite chichement citée comme moyen d’invocation et de révélation, une contamination personnifiée par des apparitions pleines d’étrangeté malsaine et la prédominance d’un destin funeste pressenti.

Dans La demoiselle d’Ys, Philip se perd dans les marais du Finistère et rencontre Jeanne d’Ys qui chasse avec son faucon. Elle le mène à sa ferme fortifiée où un amour immédiat et réciproque nait entre eux.
Basée sur les légendes bretonnes, cette romance succincte advient dans une parenthèse féérique, un voyage temporel pour le héros jusqu’au Moyen-Âge. Un des fauconniers qui assistent Jeanne s’appelle Hastur, ce qui constitue une occurrence incongrue.
Dans Le paradis du Prophète, l’amour entre un homme et une femme se fait attendre, manquant la Vérité et la Destinée dans l’irréversibilité du temps.
Dans La rue des Quatre-Vents, un vieux peintre reçoit la visite d’un chat misérable qui arbore pourtant une jarretière en soie autour du cou, ce qui le mène à sa propriétaire morte, à une romance avortée.
Dans La rue du premier obus, au milieu d’un groupe d’étudiants et artistes pendant le siège de Paris par les prussiens, Jack Trent est témoin des difficultés de l’époque, de l’amour incertain, du poids du passé et d’un avenir flou, des affres de la guerre mais aussi d’un nouvel espoir.
Dans La rue Notre-Dame-des-Champs, Hastings arrive à Paris de la campagne américaine pudibonde pour étudier la peinture et rencontre la belle Valentine à la vie très libérée.
Dans Rue Barrée, Selby est un nouvel étudiant américain en peinture à Paris et il tombe amoureux d’une mystérieuse pianiste qui se dérobe devant toute tentative de rapprochement, surnommée Rue Barrée par les étudiants au supplice.

Dans Un habitant de Carcosa d’Ambrose Bierce, un homme est perdu dans un désert alors qu’il était alité et fiévreux. Se sentant comme dématérialisé il se demande s’il est mort et finit par constater une translation vers l’avenir. Le lien thématique avec Chambers est manifeste.

[15/02/22] Ce livre, au même titre que des œuvres de Edgar Allan Poe, Ambrose Bierce et Arthur Machen, est toujours cité comme une influence majeure pour Howard Phillips Lovecraft. On y débusque certains éléments qui pourront s’épanouir pour former son Panthéon et leur influence terrible sur la réalité.
Pour commencer, Le roi en jaune est un livre maudit au contenu indicible, à la rareté élitiste et aux conséquences fatales. Ensuite, le personnage du roi en jaune est un prototype des Grands Anciens qui s’immiscent dans le réel par les hommes marqués.
Cela concerne la première moitié du recueil, avec ses nouvelles d’un genre fantastique peuplée d’une menace surnaturelle, d’une folie qui rôde. La seconde partie des textes est du domaine du récit de guerre et de la littérature amoureuse narrant la vie d’étudiants en art à Paris.
La poésie est très présente, nichée dans des phrases très longues entre beauté naturelle et horreur remuante.

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