La ballade de Tony Burden – Pierre Pelot

Mémoires d’un épouvantail blessé au combat
 
Dans un coin paumé, chaud et poussiéreux des États-Unis, à Chadwick dans le Missouri, le shériff Divash doit gérer une situation inédite sous son commandement. Malcolm, l’employé noir de Cutty, propriétaire d’une station service, est retrouvé mort par Tony Burden, un vétéran habitant un centre d’hébergement pour anciens militaires. Divash est noir, concevant sa fonction comme un statut social pénard au-delà des tensions raciales dans ce patelin arriéré mais relativement calme d’habitude. Sous la suspicion des habitants, Cutty sombre dans un délire post-traumatique lié à la guerre, les oriente plutôt vers le cousin de Malcolm et la situation dérape complètement en fusillade. Cutty est devenu un forcené meutrier, piégé dans un délire paranoïaque basé sur les souvenirs cauchemardesques de Collin McTombe, un autre pensionnaire du centre. Tony Burden est un témoin, tout dégénère autour de lui.
Ce livre est globalement lent et très descriptif, d’une littérature générale un peu surréaliste dès que le fantastique apparait avec les mystères suggérés autour de ce centre médicalisé et son docteur Morgansen. Cette ambiance d’Amérique profonde, avec les références culturelles et l’imminence du surnaturel, font penser à Stephen King, la galerie de personnages et le sentiment de l’implacable à David Lynch. Tony Burden débute un voyage avec dans son sillage un virus provoquant des crises hallucinées et une folie meurtrière.

Observation du virus en temps de paix
 
Désormais, il se sait porteur sain et chassé, s’endort dans sa voiture, arrêtée au milieu de la Louisiane, se réveille pour constater qu’une jeune femme enceinte est assise à ses côtés. Il accepte de ramener Cathy à la maison qui l’a vue grandir et elle a peur de ne rien reconnaitre. Arrivés à la maison du père de Cathy, ils la trouvent vide de toute présence humaine. Elle apprend le lendemain que son père est hospitalisé et Tony Burden l’emmène le visiter. Cathy commence à sentir que son bébé veut la tuer et un soir son père commet une tuerie dans son hôpital.
Les questions concernant la raison pour laquelle ce sont les cauchemars de Collin McTombe qui sont transmis et le fait que des personnes sont immunisées restent en suspens. Le récit est toujours aussi lent et constitué de pensées simples, lancinant et fascinant, avec des non-dits inévitables et des idées farfelues dans ce duo improvisé. Le héros est un vieux retraité qui survit dans le déjà trop tard, des évènements intenses et affreux le suivent au cours de ce périple hypnotique.

Alabama.un.neuf.neuf.six
 
Un homme se présentant comme le fils de Tony Burden est sur sa trace en Alabama. Un drame s’est passé à Barlow Bend dans un élevage de lapins où Tony a travaillé. Mat Pealbean, ancien vendeur itinérant de camelote, arrive aussi dans la petite ville en effervescence.
Après la parenthèse intimiste du deuxième tome, l’histoire se focalise sur les poursuivants de Tony Burden dans un imbroglio teinté d’incertitude. Mat Pealbean, escroc recherché par son ancien employeur et des trafiquants de drogue, se retrouve inséré dans la traque visant Tony Burden car il a compris les enjeux de l’infection virale et il a fait enregistrer son témoignage par un journaliste. La chasse à l’homme vecteur ne peut plus être discrète.

Sécession bis
 
L’armée a bouclé le sud infecté du pays dans la peur et la colère provoquées par la révélation médiatique de la trainée de folie laissée par Tony Burden. Dans le Mississippi, il rencontre John T. Divirtt faisant partie d’une milice armée constituée suite à la panique et à l’incompréhension. Le groupe est tombé dans une embuscade de l’armée, Divirtt est le seul survivant finalement exfiltré par Tony Burden. Dans cette quarantaine parcourue par l’anarchie, le vieux héros redevient anonyme et il peut préparer sa vengeance du haut de son expérience dans les services secrets de l’armée. Il se rend à l’épicentre de l’épidémie, retrouve le centre d’hébergement abandonné et constate l’absence de Morgansen.
La guerre civile apporte de l’action au récit, la pression claustrophobique n’a fait que croitre autour de Tony Burden plus actif et tendu vers un but bien personnel et défini.

Offensive du virus sous le champ de bataille
 
Tony Burden poursuit son errance jusqu’à Sunbright au Tennessee et rencontre Gedeon Pikett, dernier habitant perturbé de cette bourgade. La paranoïa réapparait avec l’impossibilité de savoir si Morgansen est dans le nord à concevoir une façon d’éradiquer les porteurs viraux ou s’il a rallié le sud et cherche à sauver la population grâce à un vaccin. En route pour Knoxville, Tony Burden est pris en otage par Butts, un émeutier qui se révèle être un médecin, profession peu appréciée depuis les morts parmi les vaccinés. Seules demeurent l’apocalypse en marche et l’incertitude concernant l’identité et les intentions des personnes impliquées.
 
 
 
 
La forme narrative est simpliste, basée sur un phrasé de bouseux, des pensées et des dialogues frisant la tautologie mais souligne aussi cette atmosphère tendue entre nature sauvage et instinct aiguisé. Le anti-héros rend les personnages secondaires très importants pour décrire cet engrenage d’une manière indirecte, alternant les périodes stressantes de calme relatif et les explosions écrasantes de violence extrême. L’histoire est un mélange d’épidémie, d’enfermement, de paranoïa, de western, de traque, de manipulation, de voyage post-apocalyptique et de dystopie, d’antimilitarisme. Le style de Pierre Pelot alliant la pesanteur psychologique à la brutalité virevoltante va au-delà de l’hommage ou du pastiche à l’américaine, au plus profond de l’existence de la mémoire et de l’insignifiance de l’individu.

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